Arrêtons de parler de « diversité », et utilisons les vrais mots !
TRIBUNE// On ne peut plus rien dire ? Bien au contraire, disons les choses ! Mais correctement. C'est le coup de gueule de Binkady-Emmanuel Hié, coauteur d'un manifeste intitulé « De la question raciale à l'Opéra de Paris », publié en septembre 2020, et spécialiste des enjeux de représentativité.
Il existe en France deux obstacles majeurs qui empêchent de travailler efficacement sur la question raciale : celui des chiffres, sur lesquels plane l'ombre de l'interdiction de principe des statistiques ethniques, et celui des mots. Ceux que l'on use, que l'on emmêle, ou que l'on esquive. Arrêtons-nous un instant sur cette schizophrénie linguistique.
Celui qui règne en maître-mot sur ce champ lexical, c'est l'incontournable « diversité » . Pertinent lorsqu'il fait état d'une variété de profils (genre, âge, origine, profil neurologique, morphologie, etc.) au sein d'un groupe d'individus, le terme dérive souvent pour désigner, par pudeur évidente mais tacitement acceptée, l'inclusion des personnes non-blanches dans des espaces où elles sont disproportionnellement minoritaires, en entreprise notamment. Par un abus de langage, il finit même par désigner les personnes non-blanches elles-mêmes, soi-disant « issues de la diversité ». Un tel emploi trahit la peur bien française de traiter isolément les problèmes liés aux stigmates de la « race ».
Aux périphéries de la nation
Ce malaise sémantique conduit par ailleurs à la confusion régulière de notions telles la couleur de peau, la nationalité, l'ascendance, l'origine ethnique ou géographique, qui n'entretiennent pourtant aucun lien naturel entre elles. Rappelons ici que le terme « issu de l'immigration » ne devrait pas être synonyme de « non blanc », de même que « Français » ne rime pas avec « blanc ». De même, les personnes d'origine nord-africaine ne sont pas toutes arabes, et certains Arabes sont noirs. Ces amalgames ont une fâcheuse tendance à assimiler blancheur de peau, identité française et sentiment d'être chez-soi, et à renvoyer les personnes racisées aux périphéries de la nation. Ils font le lit des micro-agressions les plus courantes.
Dans un pays qui se veut aveugle aux pigmentations cutanées, la désignation de certains individus se transforme vite en un véritable jeu de funambule, ayant pour objectif d'éviter le mot bombe « race » et ses déclinaisons ainsi que les adjectifs de couleurs. Ici, un collègue me fait part de ses hésitations sur le vocabulaire à utiliser dans son livre pour désigner une employée noire qu'il croise quotidiennement. Là, un ami « boomer » s'étonne que l'anglicisme « black » qu'il utilise depuis des années pour désigner les personnes noires ne soit plus en odeur de sainteté.
Il ne s'agit pourtant pas de censure mais d'un usage correct de la langue de Dumas (oui, Alexandre était noir). Une fois débarrassés de cette gêne maladive et d'une paresse intellectuelle qui nous enlise dans les « on ne peut plus rien dire », nous pourrions enfin désigner avec dignité les plus mélaninés des Français.